jeudi 15 mai 2014

Cinq jours


Ce matin j'ai mis le T-shirt de la Nakba. Ca fait 66 ans aujourd'hui, que les Palestiniens demandent la droit de retourner chez eux. Il vivent le paradoxe d'être réfugiés dans leur propre pays.

J'ai rendez-vous à 9h30.

Passées les tensions du soir, je suis frais et dispo pour retrouver Amira, Murad et Marwa qui est ma bodyguard. On doit se rendre en bus à Alwalaja à quelques kilomètres d'ici pour une manifestation pacifique de protestation contre l'occupation Israélienne.



Le bus est "très Palestinien", c'est à dire rafistolé. Sur cette photo prise de l'intérieur on voit la cabine du chauffeur, avec son numéro de téléphone et une photo de Jérusalem où il n'a pas la possibilité d'aller. Le gros "W" au dessus, c'est le logo d'une compagnie de téléphone mobile, en dessous du "W", un numéro de mobile marqué au feutre. Les chapeaux, je ne sais pas ce qu'ils font là.





Puis on a longé un mur. Je ne sais pas si c'était celui qui "protège" la colonie de Gilo ou celui de la Ligne Verte. Les murs ici il y en a à saturation. Certains s'arrêtent comme ça au milieu de rien, d'autres ne disparaissent qu'à l'horizon. Il y en a en béton ou en barbelés. Autour de Gilo il y a des blindés, des jeeps et des fouilles. 
A l'intérieur on voit des maisons ultra modernes, toutes pareilles, avec une terrasse devant. 

Des HLM de luxe. 

Je me demande vraiment ce qui peut motiver à vivre la dedans. Entouré de murs, de soldats, de jeep, de blindés et comble d'horreur, de Palestiniens. 

Autour d'une colonie les Israéliens créent un "vide" de sécurité. C'est à dire que non seulement pour la construire, on détruit les habitations Palestiniennes existantes, mais de surcroit tout ce qui se trouve autour (au moins 500 m) doit disparaitre. Le tout se trouvant bien sûr dans le territoire attribué aux Palestiniens après les accords de 1969. 

Après le mur Le bus s'arrête, nous sommes arrivés. Comme c'est très embouteillé, on descend plus tôt que prévu, on termine à pieds. Le soleil tape fort. Les tuyaux d'échappement des bus et des voitures, ajoutent une touche d'exotisme ... Pas de doutes je suis ici.


 

Ces enfant portent des clés en polystyrène.  Elles symbolisent les clés des maisons perdues de leurs grands-parents. La légende veut que chacun garde chez lui, très précieusement la clé de sa demeure perdue. Certains l'encadrent dans leur salon.

Quand je me promène dans les rues, en Palestine, ou quand je suis accueilli chez des habitants, il y a un truc indéfinissable, difficile à expliquer. Rien n'est fini. A première vue ça peut sembler normal. Les traditions veulent que l'on agrandisse les maisons à chaque mariage masculin. Il faut accueillir le nouveau couple et ses futurs enfants.

Aucune maison, aucun intérieur, aucun jardin, en dehors du canapé (ici c'est la seule religion vraiment commune) rien n'est confortable. Rien n'est fait pour rester. Ca ne cadre pas avec ce que je vois des Palestiniens. L'accueil pour eux c'est primordial. Se retrouver ensembles est permanent. Ils sont toujours propres et bien habillés, ils se respectent. Je ne ressens pas le même respect pour leur habitat.
Je les sens ancrés dans le sol, ils ne lâcheront pas leur pays. Je ne les sens pas ancrés dans leurs maisons.

Je suis moi même en construction permanente, je cherche souvent ma place, j'ai toujours vécu avec des incertitudes quand à mes origines et à la légitimité de ma place dans ma famille. Parfois j'ai l'impression de devoir revendiquer mon existence. Il y a au fond de moi une sorte de droit au retour.

Ce que je vois ici me parle.

Je pense que le traumatisme est énorme ici (moi c'est une autre question ...), qu'il est entretenu, pour des raisons louables, mais entretenu quand même. 

Ces enfants qui portent des clés en polystyrène, doivent les trouver très lourdes.



Photo : Murad Abusrour

Avant la fin de la fête les Israéliens sont arrivés. Alors on a posé les clés en polystyrène pour aller s'affronter à l'ennemi. Des pierres partent d'un côté, en réponse des lacrymos repartent de l'autre côté. Un jeu dangereux. 

Les Israéliens ne viennent que pour se défendre : d'être là ! ... 

S'ils n'étaient pas là, la fête aurait continué et chacun serait ensuite rentré chez lui. Ce petit jeu à tué au moins deux personnes (deux jeunes) à Ramallah aujourd'hui, au cours d'une manifestation similaire.

En rentrant j'étais sur Facebook aux côtes d'Amira, Marwa (mon bodyguard) et Adham :


Photo : Murad Abousrour


En écrivant j'ai appris que je n'aurais pas l'appartement qui m'attendait à Nice pour vivre avec mes enfants.

Je n'aurai pas les clés !

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